COUPLE AU BORD DE LA RUPTURE

Comme d’habitude, il rentre tard du travail.

Les yeux cernés, le visage fatigué.

Courbaturé de partout, le dos en compote.

Et comme à chaque fois, c’est la même rengaine.

Il me dit qu’il est à deux doigts d’envoyer tout balader.

Que son job de vendeur spécialisé ne le fait plus rêver.

Qu’il n’aurait jamais dû choisir le rayon fruits et légumes.

Qu’il en a plein le dos de vendre des cucurbitacées à des courges.

Qu’il en a par-dessus le citron de ses horaires à la noix.

Qu’il bosse comme un dingue pour un salaire de misère.

Qu’il n’en peut plus d’être le navet de service.

Que son chef de rayon est un glandeur de première.

Que les clients lui prennent le chou avec leurs questions débiles.

Que c’est pas sorcier de différencier une frisée d’une batavia.

Que les blagues débiles sur les concombres, ça suffit.

Qu’ils ont tous un pois chiche dans le chou-rave.

Que le gaspillage alimentaire, ça commence à bien faire.

Qu’y en a marre des fruits moches qui flétrissent dans leur coin.

Qu’ils font chier avec leurs produits importés bourrés de pesticides.

Que tout ce petit trafic fait les choux gras des grandes enseignes.

Comme d’habitude, moi aussi, j’y mets mon grain de sel.

Ereintée de ma journée, les traités tirés.

Courbaturée de partout, le dos en purée.

Et comme à chaque fois, c’est la même rengaine.

Je lui dis que moi aussi, aujourd’hui, j’en ai vu des vertes et des pas mûres.

Que j’ai préparé le bol de céréales de l’aîné.

Donné le biberon au petit avant de courir à l’école.

Papoté chiffons et bagatelles avec des pipelettes en poussette.

Dépoussiéré les meubles, passé l’aspirateur.

Récuré les poêles et les cocottes en chantant comme une casserole.

Préparé la popote avec tout mon stock de légumes pour l’hiver.

Fait un aller-retour à l’épicerie, deux lessives et une seule pause-café.

Que je me suis tapée en boucle les dessins animés à la noix du petit.

Que les tutures qui font vroum vroum, ça commence à bien faire.

Que j’en ai plein le nez de torcher des pifs et des culs pleins de merde.

Que j’en ai ras le tablier d’endosser le rôle de la parfaite ménagère.

Que ce serait bien, de temps à autre, que les tâches soient partagées.

Que j’en ai plein la citrouille d’être la seule à m’occuper des gosses.

Qu’un de ces quatre, à force d’abuser, je vais tout envoyer balader.

Qu’il n’aura plus qu’à trouver une autre courge pour lui servir de bonne.

Comme d’habitude, la queue entre les jambes, il part de son côté.

Au programme du soir, la chambre à coucher où il va se caler devant la télé.

Comme d’habitude, sans le calculer, je pars à l’opposé.

Au programme de la nuit, le canapé du salon où je me repasse le film à l’envers.

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